( 1898-1979)
Fils d'un médecin juif d'origine lituanienne, le jeune Joseph suivra les affectations paternelles. Naissance dans la pampa argentine. La Russie près de l'Oural. Son monde pittoresque et bariolé. Nice et le lycée Masséna. La littérature française. Paris, les débuts dans le théâtre comme comédien avant de bifurquer vers le journalisme à dix-sept ans et demi. Puis viendra la grande guerre. Volontaire versé dans la cavalerie, puis l'aviation.
Une source d'inspiration, plus tard, pour un roman : l'Equipage. La grande guerre finie, "Jeff" comme l'appelle ses amis, fait du journalisme et des livres. Premier roman en 1922, la Steppe rouge. Succès immédiat. Kessel devient un écrivain connu et reconnu. Un homme de lettres que se dispute le monde des lettres. Sa profession, son goût pour les voyages, les personnages et les conflits lui font courir le monde. La Syrie et la Palestine dans le Proche-Orient, l'Abyssinie.
D'une de ces pérégrinations naîtra Fortune carrée. Inspiré des errances avec Henry de Monfreid sur la piste des esclaves dans la corne de l'Afrique. Correspondant de guerre en 1939-40, il rejoint la Résistance après la débâcle. Et franchit les Pyrénées à pied avec son neveu avant de gagner Londres. Avec ce neveu, il écrit ce qui deviendra l'hymne à la Résistance, le Chant des partisans. Et un roman L'armée des ombres. Capitaine de l'escadrille Sussex, l'écrivain-aventurier volera de nouveau.
À la Libération, Joseph Kessel collabore désormais à France-Soir. Les procès de Pétain et celui de Nuremberg. L'Afrique des Grands lacs, l'Extrême Orient. Les grands reportages et les romans s'enchaînent. Le Lion, en 1958 est salué par tous. Le public, la critique et même le Général de Gaulle. L'Académie française lui ouvre ses portes en 1962. Une consécration. Il y aura ensuite "son testament", les Cavaliers. Un chef-d'œuvre écrit, en 1967, après un séjour en Afghanistan. Difficile de mesurer l'apport de la Corne dans la vie et l'œuvre de l'écrivain-reporter aux mille et une vies.


Quelques extraits du livre "Le Lion "






Une toute petite patte veloutée souleva une de mes paupiéres .Je trouvai ,assis au bord de mon oreiller ,un singe qui avait la taille d'une noix de coco et portait un loup de satin noir sur le museau. Tout était comme à mon premier réveil dans la hutte du parc royal : l'aube indécise ,mes vêtements de brouse en tas au bout du lit ,prés de la lmampe tempête que j'avais laissée brûler.
Et ,ainsi que je l'avais fait alors ,j'allai sur la véranda .Et j'y trouvai Cymbeline ,la gazelle minuscule qui avait des dés pour sabots et pour cornes des aiguilles de pin.Et la brume cachait la grande clairiére qui descendait jusqu'au grand abreuvoir.
Oui ,je trouvai toutes choses semblables à la premiére fois .Mais à présent,elles étaient sans pouvoir sur moi .Nicolas et Cymbeline avaient perdu leur mystére de poésie.Je voyais à l'avance chaque détail du paysage que le brouillard allait découvrir .En bref, mes sentiments n'étaient qu'un assez pauvre décalque de l'émerveillement que j'avais connu.
Mais l'aurore surgit d'un seul coup,prompte et glorieuse .La neige du Kilimandjaro devint un doux brasier .La brume se déchira en écharpes de fées,en poudre de diamant.L'eau étincela au fond de l'herbe .Les bêtes commencérent à composer leur tapisserie vivante au pied de la grande montagne.
Alors cette beauté fut de nouveau toute fraîche , toute neuve pour mes yeux et telle qu'ils l'avaient découverte dans un matin sans précédent . La nature avait beau répéter éternellement ses miracles , elle ne perdait rien ,elle ,de sa splendeur et de son intégrité. Et le désir me revint de partager la liberté et l'innocence des troupeaux sauvages.et il était tout aussi violent qu'à mon arrivée en ces lieux ,car ,en quoi ,véritablement ,l'avais-je satisfait ?



Je n'arrivai pas à temps pour admirer l'effet que Patricia avait médité de produire .Mais il me fut donné ,en quelque sorte ,de l'entendre . Car au moment où je me trouvai à mi-pente de la colline ,le tumulte qui résonnait dans la manyatta cessa d'un seul coup .Je pus mesurer à ce silence l'étonnement par lequel les Masaî honoraient la petite fille blanche qui commandait à un lion .Cet hommage fut trés bref , d'ailleurs .Quand j'atteignis la chicane d'épineux par où l'on accédait à la manyatta ,les bruits de la fête retentirent de nouveau et avec une force accrue .Et quand je pénétrai à l'intérieur, la fête masaï jaillit ,éclata dans toutes ses sonorités ,ses couleurs et son mouvement barbare.
Quel décor...
Quels personnages.
Basse et voûtée , couverte d'un seul tennant par une croûte qui était soulevée à intervalles réguliers par les arches de branchages sur lesquels j'avais vu ,quelques jours plus tôt ,couler une bouse liquide ,la manyatta ressemblait à une longue chenille brune et annelée qui refermait sur elle ses anneaux .Dans l'espace que cette chenille enserrait ainsi , le clan était assemblé .
Tous ,excepté une douzaine de jeunes hommes à qui le milieu de la plate-forme était réservé, se tenaient sur le pourtour ,contre la paroi craquelée de la manyatta.
Les femmes et les filles portaient leurs atours les plus beaux : robes de cotonnades aux teintes crues ; cercles de métal blanc entassés sur la peau noire des cous ,des bras et des chevilles ; bijoux de lave ou de cuivre arrachés aux lits secs des riviéres et aux petits volcans éteints qui bosselaient la brousse .Les plus vieilles remuaient avec dignité les lobes de leurs oreilles devenues ficelles de peau racornie qui , détachées du cartilage et appesanties par des rouleaux d'étoffe ,des morceaux de bois et de fer , traînaient sur leurs épaules .




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