LES MISÉRABLES


La Guerre entre quatre murs Victor Hugo

Un autre personnage attachant de cette fresque sociale : Gavroche, un gamin de Paris, orphelin débrouillard qui n'a pas peur de se mêler à la vie politique. Nous sommes en pleine émeute, en 1832, contre la Royauté ; Louis Philippe est au pouvoir. Le peuple se révolte, et Gavroche pour aider les révolutionnaires, va ramasser des cartouches des soldats tombés sur la barricade, en plein sous le feu de la garde nationnale.

Gavroche a une personnalité très spéciale, essayez de la cerner.
Il rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier aux dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait d'un mort à l'autre, et vidait la giberne ou la cartouchière comme un singe ouvre une noix. De la barricade, dont il était encore assez près, on n'osait lui crier de revenir, de peur d'appeler l'attention sur lui. Sur un cadavre, qui était un caporal, il trouva une poire à poudre.
- Pour la soif, dit-il, en la mettant dans sa poche.
À force d'aller en avant, il parvint au point où le brouillard de la fusillade devenait transparent. Si bien que les tirailleurs de la ligne rangés et à l'affût derrière leur levée de pavés, et les tirailleurs de la banlieue massés à l'angle de la rue, se montrèrent soudainement quelque chose qui remuait dans la fumée. Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d'une borne, une balle frappa le cadavre.
- Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu'on me tue mes morts.
Une deuxième balle fit étinceler le pavé à côté de lui. Une troisième renversa son panier. Gavroche regarda, et vit que cela venait de la banlieue. Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l'œil fixé sur les gardes nationaux qui riaient, et il chanta :

- On est laid à Nanterre -
C'est la faute à Voltaire -
Et bête à Palaiseau -
C'est la faute à Rousseau.

Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les cartouches qui en étaient tombées, et, avançant vers la fusillade, alla dépouiller une autre giberne. Là une quatrième balle le manqua encore. Gavroche chanta :

- Je ne suis pas notaire
- C'est la faute à Voltaire
- Je suis petit oiseau
- C'est la faute à Rousseau.

Une cinquième balle ne réussit qu'à tirer de lui un troisième couplet :

- Joie est mon caractère
- C'est la faute à Voltaire
- Misère est mon trousseau
- C'est la faute à Rousseau.

Cela continua ainsi quelque temps. Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l'air de s'amuser beaucoup. C'était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet, On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les soldats riaient en l'ajustant. Il se couchait, puis se redressait, s'effaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier.
Les insurgés, haletants d'anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n'était pas un enfant, ce n'était pas un homme ; c'était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles couraient après lui, il était plus leste qu'elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort ; chaque fois que la face camarde du spectre s'approchait, le gamin lui donnait une pichenette.
Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l'enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s'affaissa.
Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait de l'Antée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, c'est comme pour le géant toucher la terre ; Gavroche n'était tombé que pour se redresser ; il resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras en l'air, regarda du côté d'où était venu le coup, et se mit à chanter :

- Je suis tombé par terre,
C'est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C'est la faute à...

Il n'acheva point. Une seconde balle du même tireur l'arrêta court. Cette fois il s'abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s'envoler.



Page analyse 1 - LES MISÉRABLES
La Guerre entre quatre murs Victor Hugo

I - Vocabulaire/conjugaison

Outils : Vos livres de référence habituels (dictionnaires, encyclopédies, grammaires, outils de recherche Internet, etc.).
Une copie du texte.
Des feuilles lignées pour écrire vos réponses.
Pour chacun des mots écrits en caractère gras , répondez sur une feuille séparée aux questions A, B, ou C. Recopiez d'abord le mot ou l'expression, précisez s'il (si elle) entre dans la catégorie A, B, ou C puis répondez aux questions correspondantes en commençant par le n° de la question.

A - Noms communs, mots ou expressions - ne répondez qu'aux questions appropriées :

"Le spectacle était épouvantable et charmant"

1. Identifiez le mot ou l'expression (ex. : nom commun, article, pronom, adjectif, etc.).
2. Quel est le sens usuel (habituel) du mot ou de l'expression?
3. Quelles sont les autres définitions possibles?
4. Quels sont les mots de la même famille et leurs définitions?
5. Quels sont les synonymes? précisez les nuances de sens.
6. Quels sont les antonymes (contraires)? Précisez les nuances de sens.

B - Noms propres :

"Rousseau"

1. Quelle définition avez-vous trouvée dans vos dictionnaires?
2. S'il s'agit d'une personne expliquez qui elle est et quel est son rôle.
3. Donnez toutes les informations nécessaires à la bonne compréhension du texte.

C - Verbes :

"Ondulait"

1. Donnez l'infinitif du verbe; de quel groupe est-il?
2. Que veut-il dire?
3. Par quel verbe pourrait-il être remplacé dans la phrase? Précisez les nuances de sens.
4. Quel est le sujet du verbe, et s'il en a un, son complément?
5. À quel temps a-t-il été employé?
6. Réécrivez la phase en employant le(s) temps suivant(s) :-présent-futur-passé composé .

III - Discussion

Outils : Une copie du texte,
Utilisez les questions comme avenue de réflexion pour livrer vos commentaires à propos du texte (quelles sont vos impressions, quels sentiments ce texte a-t-il fait naître en vous, ce qu'il vous rappelle, ce que vous auriez fait à la place du personnage, etc.).
Après avoir lu le texte, répondez aux questions suivantes :

1. Que pouvez-vous dire de ce jeune garçon ? Quelles sont ses qualités ? Quels sont ses défauts ?

2. Entre le courage, la témérité et l'inconscience, y a-t-il une grande marge ? Expliquez les différences.

3. On dit que Gavroche avait l'air de s'amuser, croyez-vous qu'il s'amusait ? expliquez.

4. Avez-vous déjà fait preuve de courage ? racontez. Que risquiez-vous ?

5. Avez-vous déjà été en danger de mort ? ou quelqu'un de votre entourage ? racontez ?

6. Qu'est-ce que rend les gens peureux, selon vous ?

7. Qui sont vos héros, et pourquoi ?

8. Qu'est-ce qui, selon vous, explique la méchancété humaine ?