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Quelques petits extraits sur des moments de bonheur,A lire lorsque la vie nous égratigne un peu. |
Quelle journée formidable ! J'ai passé toute la matinée étendu sur l'herbe,devant ma maison ,sous l'énorme platane qui la couvre ,l'abrite et l'ombrage toute entiére.J'aime ce pays,et j'aime y vivre parceque j'y ai mes racines,ces profondes et délicates racines ,qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui l'attachent à ce qu'on pense et à ce qu'on mange,aux usages comme aux nourritures ,aux locutions locales ,aux intonations des paysans,aux odeurs du sol,des villages et de l'air lui-même. J'aime ma maison où j'ai grandi .De mes fenêtres ,je vois la Seine qui coule,le long de mon jardin,derriére la route ,presque chez moi,la grande et large Seine qui va de Rouen au Havre ,couverte de bateaux qui passent. A gauche,là-bas ,Rouen ,la vaste ville aux toits bleus,sous le peuple pointu des clochers gothiques.Ils sont innombrables,frêles ou larges ,dominés par la flèche de fonte de la cathédrale,et pleins de cloches qui sonnent dans l'air bleu des belles matinées,jetant jusqu'à moi leur doux et lointain bourdonnement de fer,leur chant d'airain que la brise m'apporte ,tantôt plus fort et tantôt plus affaibli ,suivant qu'elle s'éveille ou s'assoupit. Comme il faisait bon ce matin ! Guy de Maupassant ,Le Horla |
Depuis longtemps,il n'avait personne à qui sourire et il ne savait plus;quand il voulait sourire ses muscles ne lui obéissaient plus...Ainsi,il avait tout ce qu'il lui fallait sur cette île,de quoi boire et manger,une maison ,un lit pour dormir,mais,pour sourire ,personne,et son visage en était comme glacé. C'est alors que ses yeux s'abaissèrent vers Tenn.Robinson rêvait-il? Lechien était en train de lui sourire! D'un seul côté de sa gueule,sa lèvre noire se soulevait et découvrait une double rangée de crocs.En même temps ,il inclinait drôlement la tête sur le côté et ses yeux couleur de noisette se plissaient d'ironie.Robinson saisit à deux mains la grosse tête velue et ses paupières se mouillérent d'émotion,cependant qu'un tremblement imperceptible faisait bouger les commissures de ses lèvres. Tenn faisait toujours sa grimace et Robinson le regardait passionnément pour réapprendre à sourire. Michel Tournier,Vendredi ou la vie sauvage |
Mémento des choses bonnes de la vie. -Dans mon métier de "lecteur de manuscrits",la dizaine de fois où j'ai refermé un manuscrit en me disant :"Cela est trés beau ,merci de l'avoir eu à lire ..." -Quand mes poumons étaient frais,les odeurs du jardin au matin ,en juin,quand les oiseaux chantent encore avant la grosse chaleur. -Les petits déjeuners sur la table du jardin,quandLoleh se concilie les guêpes en leur offrant une soucoupe avec du miel pour sauver ses tartines à elle. -La petite fille dans une école (onze ans) qui se lève :" Monsieur Roy,pensez-vous que le bonheur a des limites ?"(la réponse serait :ni le bonheur ni le malheur n'en ont.) -A la radio ,dans la voiture ,seul ,la nuit,entendre pour la premiére fois le mouvement lent,adagio,du dernier quintette de Schubert,me garer ,arrêter le moteur ,et pleurer. -Les vieilles espadrilles catalanes ébarbillées aux pieds nus du vieil homme Maillol,dans sa métairie prés de Banyuls.Le tricot de coton bleu à rayures de Picasso dans son atelier de Vallauris. -Quand on vient d'apprendre à monter à bicyclette ,dans la côte qui descend entre Saintonge et Gondeville,se laisser aller pour la premiére fois sans freiner ,"à toute vitesse".soixante ans plus tard ,revenir et constater que a côte est toute douce ,et que le vertigineux se passer dans la tête du petit garçon. -A tue-tête et à claire voix l'allouette lulu qui chante ,quasi immobile dans le ciel.Et presque ne pas la voir ,tant la lumiére est vive .Ou bien :voir pour la premiére fois (et la derniére aussi ) ,à Oakland (états-unis),le moucherolle à queue en ciseaux. -Le premier matin de printemps où on découvre dans le bois un parterre d'iris sauvage,leur bleu profond sur le vert aux couleurs des charpentes des palais de Chine .Le coucou chante au loin,et un couple de tourterelles des bois roucoule. -En revenant de l'ècole ,à quatre heures, Rose me fait une grande tartine avec beaucoup de beurre sur lequel elle sémeun parterre de chocolat râpè.quand j'ai fini,elle essuie les moustaches que je me suis faites ,de gras et de choco. -Les ressources du bleu :un champ de lin en fleur,une éclaircie de ciel clair bleu ardoisé dans un ciel trés noir de pluie fine ,les yeux de M. -Aprés soixante années,retourner à Vouvant (Vendée) où j'étais à cinq ans,et que la girouette au sommet de la tour Mélusine en ruine ait exactement le même gémissement grincerouille qu'autrefois . -Entendre tout prés dans la chênaie la légère rafale de coups de pic ,son d'une balle de ping-pong qui dégringole un escalier de bois .Tourner autour de l'arbre pour le voir .Mais il tourne lui aussi et se moque de moi. -En 1958,attendre dans la rue Loleh qui ne me voit pas ,et marche vers le lieu de notre rendez-vous ,hâtant le pas ,courant presque d'impatience ,son beau visage lisse avivè de gaieté. Claude RoyPermis de séjour (1977-1982) |
Douceur Douceur Je dis: douceur Je dis :douceur des mots Quand tu rentres le soir du travail harassant Et que des mots t'accueillent Qui te donnent du temps Car on tue dans le monde Et tout massacre nous vieillit Je dis : douceur Pensant aussi A des feuilles en voie de sortir du bourgeon, A des cieux,à de l'eau dans les journées d'été, A des poignées de main. Je dis : douceur,pensant aux heures d'amotié, A ces moments qui disent Le temps de la douceur venant pour tout de bon. Cet air tout neuf, Qui pour durer s'installera. Guillevic,Terre à bonheur |
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