Les poêtes bourlingueurs

Blaise Cendrars-Guillaume Apollinaire-Jean de la Fontaine-Jules Supervielle



Voici 4 poêmes ,de 4 auteurs trés différents ;tu devras les lire puis répondre aux questions juste aprés -Ces questions te permettront de mieux comprendre les sentiments des auteurs.


En ce temps-là, j'étais en mon adolescence
J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J'étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n'avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon coeur tour à tour brûlait comme le temple d'Ephèse ou comme
la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et j'étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu'au bout.
Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare croustillé d'or,
Avec les grandes amandes des cathédrales, toutes blanches
Et l'or mielleux des cloches...
Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode
J'avais soif
Et je déchiffrais des caractères cunéiformes
Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s'envolaient sur la place
Et mes mains s'envolaient aussi avec des bruissements d'albatros
Et ceci, c'était les dernières réminiscences
Du dernier jour
Du tout dernier voyage
Et de la mer.
Pourtant, j'étais fort mauvais poète.
Je ne savais pas aller jusqu'au bout.
J'avais faim
Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres
J'aurais voulu les boire et les casser
Et toutes les vitrines et toutes les rues
Et toutes les maisons et toutes les vies
Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés
J'aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaive
Et j'aurais voulu broyer tous les os
Et arracher toutes les langues
Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m'affolent...
Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe...
Et le soleil était une mauvaise plaie
Qui s'ouvrait comme un brasier
En ce temps-là j'étais en mon adolescence
J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance
J'étais à Moscou où je voulais me nourrir de flammes
Et je n'avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux
En Sibérie tonnait le canon, c'était la guerre
La faim le froid la peste et le choléra
Et les eaux limoneuses de l'Amour charriaient des millions de charognes
Dans toutes les gares je voyais partir tous les dernier trains
Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets
Et les soldats qui s'en allaient auraient bien voulu rester...
Un vieux moine me chantait la légende de Novgorod


Blaise Cendrars
"La prose du Transsibérien " est un trés long
poême .Ici ,ne sont écrites que les premiéres strophes
.Ce poême nous rend compte d'un voyage
que fit Blaise Cendrars (Qui est Blaise Cendrars ? clique ici )
en Mandchourie ,avec pour compagnie la présence d'une jeune
fille perdue au coeur pur :"la petite Jehanne de france"
Les images se succédent dans des
vers dont le rythme haletant reproduit
la course du train . L'édition originale
se présentait sous la forme d'un long
dépliant en couleurs, long de 2 métres
et illustrés par le peintre Sonia Delaunay.
(pour voir le document -clique ici)
Exercice:
-A quelle époque de la vie du poéte ce texte fait-il référence?
-Relevez les allusions aux lieux qu'il fréquente
et à l'époque où se situe l'action.
-Comment les souvenirs se présentent-ils dans
l'esprit du poéte?(ordre-forme..)
-Pourquoi le poéte dit-il de lui qu'il était
" si/fort mauvais poéte"
-A quelle personne est écrit ce poéme
et quel temps y domine? concluez.
-Relevez les marques de l'appétit du poéte dans le texte.
-Le poéte dit de lui "je ne savais pas
aller jusqu'au bout" et "j'avais faim"
.Quel adjectif pourrait le qualifier?


L'émigrant de Landor Road
À André Billy.

Le chapeau à la main il entra du pied droit
Chez un tailleur très chic et fournisseur du roi
Ce commerçant venait de couper quelques têtes
De mannequins vêtus comme il faut qu'on se vête

La foule en tous les sens remuait en mêlant
Des ombres sans amour qui se traînaient par terre
Et des mains vers le ciel plein de lacs de lumière
S'envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs

Mon bateau partira demain pour l'Amérique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l'argent gagné dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais

Car revenir c'est bon pour un soldat des Indes
Les boursiers ont vendu tous mes crachats d'or fin
Mais habillé de neuf je veux dormir enfin
Sous des arbres pleins d'oiseaux muets et de singes

Les mannequins pour lui s'étant déshabillés
Battirent leurs habits puis les lui essayèrent
Le vêtement d'un lord mort sans avoir payé
Au rabais l'habilla comme un millionnaire

Au-dehors les années
Regardaient la vitrine
Les mannequins victimes
Et passaient enchaînées

Intercalées dans l'an c'étaient les journées veuves
Les vendredis sanglants et lents d'enterrements
De blancs et de tout noirs vaincus des cieux qui pleuvent
Quand la femme du diable a battu son amant

Puis dans un port d'automne aux feuilles indécises
Quand les mains de la foule y feuillolaient aussi
Sur le pont du vaisseau il posa sa valise
Et s'assit

Les vents de l'Océan en soufflant leurs menaces
Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouillés
Des émigrants tendaient vers le port leurs mains lasses
Et d'autres en pleurant s'étaient agenouillés

Il regarda longtemps les rives qui moururent
Seuls des bateaux d'enfant tremblaient à l'horizon
Un tout petit bouquet flottant à l'aventure
Couvrit l'Océan d'une immense floraison

Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire
Jouer dans d'autres mers parmi tous les dauphins
Et l'on tissait dans sa mémoire
Une tapisserie sans fin
Qui figurait son histoire

Mais pour noyer changées en poux
Ces tisseuses têtues qui sans cesse interrogent
Il se maria comme un doge
Aux cris d'une sirène moderne sans époux

Gonfle-toi vers la nuit Ô Mer Les yeux des squales
Jusqu'à l'aube ont guetté de loin avidement
Des cadavres de jours rongés par les étoiles
Parmi le bruit des flots et les derniers serments

Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
Esprit curieux et cultivé ,Guillaume Apollinaire a ouvert
les voies dans lesquelles va s'engager la poésie moderne
.Son recueil Alcools (1913) est une oeuvre majeure
de la poésie contemporaine.Engagé volontaire lors de la
Premiére Guerre mondiale,Apollinaire
mourut en 1918 des suites d'une blessure à la tête.Les poêmes
qu'il adressa à Louise de Coligny-Châtillon,entre 1914 et 1915
,alors qu'il attendait de partir sur le front ,furent
publiés en 1956
sous le titre Poémes à Lou
Pour tout savoir sur le grand poéte ,voici un trés beau site,trés complet ,il faut absolument
aller y jeter un coup d'oeil. Et aprés ,si vous êtes fan
,alors allez donc lire toute son oeuvre ici.


Exercice
-relevez dans le texte les vers montrant
que c'est un émigrant qui parle.
Que vient-il faire?
-Quels vers décrivent le départ de l'émigrant?
-Que fait-il ,pour finir? Pourquoi?
-Quelle image se fait le lecteur de cet émigrant?
-Relevez des passages burlesques,mélancoliques,tragiques.
-Quelle image du monde perçoit-on à travers
le regard de l'émigrant?Donnez des
exemples précis.
Interet du texte:
-A la lecture des 4 premiers vers
Qu'est-ce qui peut sembler contradictoire ?
-Le conteur est présent dans le récit:
relevez les mots ou les expressions
montrant qu'il condamne le voyage
et qu'il a pitié du voyageur.
-Distinguez les grandes parties du texte.
-Enumérez les arguments par lesquels l'un des
deux pigeons essaie de retenir son compagnon.
-Qu'est-ce qui pousse celui-ci à partir
quand même ? Par quels arguments justifie-t-il
son départ?
-Enumérez les aventures qui arrivent au voyageur
en montrant la progression des dangers.
-Pourquoi La Fontaine ne fait-il pas périr son voyageur?
-Dans quel état (de corps et d'esprit)
celui-ci rentre t-il au logis ?
-Formulez la moralité de cette fable en une phrase .
-A la lecture des 4 premiers vers ,nqu'est-ce qui peut sembler surprenant
,voire contradictoire ?
-Le conteur est présent dans le récit: relevez des mots
ou des expressions montrant qu'il condamne le voyage
et qu'il a pitié du voyageur.
Les Deux Pigeons

Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre :
L'un d'eux, s'ennuyant au logis,
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L'autre lui dit : « Qu'allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L'absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel ! Au moins, que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,
Changent un peu votre courage.
Encor, si la saison s'avançait davantage !
Attendez les zéphyrs. Qui vous presse ? un corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,
Que faucons, que réseaux. « Hélas, dirai-je, il pleut :
« Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,
« Bon soupé, bon gîte, et le reste ? »
Ce discours ébranla le coeur
De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit : « Ne pleurez point ;
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère ;
Je le désennuierai. Quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.
Je dirai : « J'étais là ; telle chose m'avint ; »
Vous y croirez être vous-même. »
A ces mots, en pleurant, ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne ; et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès : cela lui donne envie ;
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d'un las
Les menteurs et traîtres appas.
Le las était usé : si bien que, de son aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin :
Quelque plume y périt : et le pis du destin
Fut qu'un certain vautour à la serre cruelle, (8)
Vit notre malheureux qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du las qui l'avaient attrapé,
Semblait un forçat échappé.
Le vautour s'en allait le lier ,quand des nues
Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,
Crut, pour ce coup, que ses malheurs
Finiraient par cette aventure ;
Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)
Prit sa fronde, et, du coup, tua plus d'à moitié
La volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l'aile et traînant le pié,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna :
Que bien, que mal elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines.
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J'ai quelquefois aimé: je n'aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par le pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère,
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas ! Quand reviendront de semblables moments ?
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah! si mon coeur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête ?
Ai-je passé le temps d'aimer ?

Jean de La Fontaine
Voyages

Je ne sais que faire aujourd'hui de la Terre
De ce pic en Europe ,cette plaine en Australie
Et de cette orage en Californie.
Cet éléphant qui sort tout ruisselant du Gange
Il me mouille en passant mais n'a rien à m'apprendre.
Que peut l'oeil d'un éléphant devant l'oeil d'un homme sensé
Et dans la force de l'âge ?
Je ne sais que faire de ces femmes un peu partout
Sur la Terre plus ronde qu'elles.
Femmes ,allez à vos occupations
Ne vous mettez pas en retard.
Jules Supervielle Débarcadéres (1956)


Intérêt du texte :

-Relevez des expressions , des comparaisons qui donnent à ce poème un
ton désabusé,mais encore humoristique.
-Quels souvenirs viennent à l'esprit du poéte ?
-Sous quelle forme se présentent-ils?
-Sont-ils bienvenus? Pourquoi ?
-Jules Supervielle est un grand voyageur
où le voit-on ?


Jules Supervielle (1884-1960) est né en Uruguay à Montevidéo.
Il fit de nombreux voyages entre son payx natal et la France
.Il a aussi énormément voyagé dans le monde entier.
Sa poésie est trés imprégnée par les images et les souvenirs
de tous ses voyages .
Si vous voulez connaître un peu mieux Jules Supervielle
Allez donc jetez un coup d'oeil sur ce site.


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