Souvenir d'enfance. |
En ce temps -là,les choses arrivaient si simplement,sans préparation,sans aucun ébranlement.On me laissa entrer dans la chambre de ma mére(je me souviens de m'être dressée sur la pointe des pieds et de m'être servie de mes deux mains pour tourner la grosse poignée de porcelaine blanche ).Maman était dans son lit ,les bras allongés sur le drap,et ma grand-mére était assise devant le feu avec un bébé enveloppé de flanelle sur les genoux.Ma mére ne fit pas du tout attention à moi .Peut-être était-elle endormie,car ma grand-mére me fit un signe de tête et dit d'une voix qui n'était guére qu'un murmure :"Viens voir ta petite soeur." Sur la pointe du pied ,je traversai la chambre pour aller vers elle;elle écarta la flanelle et je vis une petite tête ronde avec une touffe de cheveux dorés;une large figure aux yeux clos,blanche comme neige. "Est-elle vivante ?"demandai-je . "Mais bien sûr" ,dit grand-mére ."Regarde comme elle tient mon doigt ."Et-oui,une main ,à peine plus grande que celle de ma poupée,se refermait sur son doigt. " Te plaît-elle ?" demanda ma grand-mére. " Oui.Est-ce qu'elle va s'amuser avec la maison de poupée ?-Cela viendra", dit grand-mére ,et je me sentis toute contente .Mrs Heywood venait de nous faire cadeau de la maison de poupée .C'était une maison magnifique,avec une véranda ,un balcon,une porte qui s'ouvrait et se fermait et deux cheminées .Je mourais d'envie de la montrer à quelqu'un d'autre... ...C'était le printemps.Notre jardin était plein de grands lis blancs .Je sortais en courant pour aller les sentir et je rentrais,le nez tout jaune. -Est-ce qu'elle ne peut pas sortir ? Enfin,par une trés belle journée,on enveloppa la petite soeur dans un grand châle bien chaud et grand-mére l'emporta dans le verger de cerisiers et la promena sous les fleurs qui tombaient.Grand-mére portait une robe grise avec des pensées blanches imprimées dessus... ...Un soir,tard ,j'étais assise prés du feu sur mon petit tabouret de tapisserie et grand-mére berçait le bébé,chantant la chanson qu'elle avait l'habitude de me chanter à moi ,mais d'une voix plus douce.Tout à coup ,elle s'arrêta et je levai les yeux .Gwen ouvrit les paupiéres,tourna vers le feu sa petite tête ronde et regarda ,regarda,et puis ...tourna les yeux en haut ,vers le visage penché sur elle .Je vis son petit corps s'allonger ,ses mains se tendirent brusquement et grand-mére cria "Ah!ah!ah!" Ce fut la bonne qui m'habilla le matin suivant .Quand j'entrai dans la nursery,je reniflai:un grand vase de nos lis blancs se trouvait sur la table.Grand-mére était assise à côté ,avec Gwen sur les genoux,et un drôle de petit homme se tenait derriére une boîte,la tête fourrée dans un sac noir. -A présent! dit-il ,et je vis changer le visage de ma grand-mére ,tandis qu'elle se penchait sur le petite Gwen. -Merci,dit l'homme,en sortant du sac. On suspendit la photographie dans la nursery,au dessus de la cheminée.Je la trouvai trés jolie.La maison de poupée y était ,avec la véranda et le balcon et tout .Grand-mére me souleva pour que j'embrasse ma petite soeur . Katherine Mansfield in Journal |
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Géraniums. Les géraniums rouges ont accaparé mon jardin.Les y voilà établis,de retour chez eux,ayant déballé et mis en place toutes leurs feuilles ,toutes leurs fleurs -absolument décidés à ne laisser aucune puissance terrestre les chasser de nouveau .Ma foi ,ça m'est égal, cela . Mais pourquoi faut-il qu'ils me fassent sentir que je suis une étrangére ? Pourquoi me demandent-ils chaque fois que je m'approche : "Et que faites-vous ici ,dans un jardin de Londres ? ".Ils brûlent d'arrogance et d'orgueil.Et moi ,je suis la petite fille des colonies qui se proméne dans ce bout de jardin londonien ,avec la permission de regarder ,peut-être ,mais non pas de rester longtemps . Si je m'étends sur l'herbe ,ils me crient aprés ,c'est un fait :" Regardez -la donc, couchée sur notre gazon,faisant semblant d'habiter ici ,prétendant que ce jardin est à elle et que ce grand mur de dérriére, avec ses fenêtres ouvertes ,avec ses rideaux de couleur que le vent agite ,est celui de sa maison.C'est une étrangére,c'est quelqu'un d'ailleurs.Elle n'est qu'une petite fille,assise sur les collines de Tinakori ,et qui rêve :" Je suis allée à Londres ,je me suis mariée avec un Anglais et nous avons vécu dans une haute maison grave ,avec un jardin derriére ,plein de géraniums rouges et de pâquerettes blanches ." Non mais ,quelle impudence !." Katherine Mansfielf in Journal |