Dans les Misérables ,le roman le plus populaire de Victor Hugo,commencé en 1840,achevé vers 1860 pendant son exil à Guernesey,l'écrivain dénonce la misére
où vit une partie du peuple et le mépris des riches pour les pauvres .Jean Valjean,bagnard devenu un exemple de générosité ,Fantine ,la fragile ouvriére ,Cosette ,l'orpheline ,Javert ,le policier
intransigeant ...en sont quelques-uns des personnages principaux . C'est Gavroche que je te propose de découvrir au fil de ces différents textes ,l'enfant des rues dans le Paris populaire des années 1830.Gavroche est le fils abandonné du sinistre couple Thénardier ,alors échoué dans une masure des faubourgs de Paris. |
Paris a un enfant et la forêt a un oiseau; l'oiseau s'appelle le moineau; l'enfant s'appelle le gamin. Accouplez ces deux idées qui contiennent, l'une toute la fournaise, l'autre toute l'aurore, choquez ces étincelles, Paris, l'enfance; il en jaillit un petit être. Homuncio, dirait Plaute. Ce petit être est joyeux. Il ne mange pas tous les jours et il va au spectacle, si bon lui semble, tous les soirs. Il n'a pas de chemise sur le corps, pas de souliers aux pieds, pas de toit sur la tête; il est comme les mouches du ciel qui n'ont rien de tout cela. Il a de sept à treize ans, vit par bandes, bat le pavé, loge en plein air, porte un vieux pantalon de son père qui lui descend plus bas que les talons, un vieux chapeau de quelque autre père qui lui descend plus bas que les oreilles, une seule bretelle en lisière jaune, court, guette, quête, perd le temps, culotte des pipes, jure comme un damné, hante le cabaret, connaît des voleurs, tutoie des filles, parle argot, chante des chansons obscènes, et n'a rien de mauvais dans le coeur. C'est qu'il a dans l'âme une perle, l'innocence, et les perles ne se dissolvent pas dans la boue. Tant que l'homme est enfant, Dieu veut qu'il soit innocent. Si l'on demandait à l'énorme ville: Qu'est-ce que c'est que cela? elle répondrait: C'est mon petit. |
Le petit Gavroche Huit ou neuf ans environ après les événements racontés dans la deuxième partie de cette histoire, on remarquait sur le boulevard du Temple et dans les régions du Château-d'Eau un petit garçon de onze à douze ans qui eût assez correctement réalisé cet idéal du gamin ébauché plus haut, si, avec le rire de son âge sur les lèvres, il n'eût pas eu le coeur absolument sombre et vide. Cet enfant était bien affublé d'un pantalon d'homme, mais il ne le tenait pas de son père, et d'une camisole de femme, mais il ne la tenait pas de sa mère. Des gens quelconques l'avaient habillé de chiffons par charité. Pourtant il avait un père et une mère. Mais son père ne songeait pas à lui et sa mère ne l'aimait point. C'était un de ces enfants dignes de pitié entre tous qui ont père et mère et qui sont orphelins. Cet enfant ne se sentait jamais si bien que dans la rue. Le pavé lui était moins dur que le coeur de sa mère. Ses parents l'avaient jeté dans la vie d'un coup de pied. Il avait tout bonnement pris sa volée. C'était un garçon bruyant, blême, leste, éveillé, goguenard, à l'air vivace et maladif. Il allait, venait, chantait, jouait à la fayousse, grattait les ruisseaux, volait un peu, mais comme les chats et les passereaux, gaîment, riait quand on l'appelait galopin, se fâchait quand on l'appelait voyou. Il n'avait pas de gîte, pas de pain, pas de feu, pas d'amour; mais il était joyeux parce qu'il était libre. Quand ces pauvres êtres sont hommes, presque toujours la meule de l'ordre social les rencontre et les broie, mais tant qu'ils sont enfants, ils échappent, étant petits. Le moindre trou les sauve. Pourtant, si abandonné que fût cet enfant, il arrivait parfois, tous les deux ou trois mois, qu'il disait: «Tiens, je vas voir maman!» Alors il quittait le boulevard, le Cirque, la Porte Saint-Martin, descendait aux quais, passait les ponts, gagnait les faubourgs, atteignait la Salpêtrière, et arrivait où? Précisément à ce double numéro 50-52 que le lecteur connaît, à la masure Gorbeau. A cette époque, la masure 50-52, habituellement déserte et éternellement décorée de l'écriteau: «Chambres à louer», se trouvait, chose rare, habitée par plusieurs individus qui, du reste, comme cela est toujours à Paris, n'avaient aucun lien ni aucun rapport entre eux. Tous appartenaient à cette classe indigente qui commence à partir du dernier petit bourgeois gêné et qui se prolonge de misère en misère dans les bas-fonds de la société jusqu'à ces deux êtres auxquels toutes les choses matérielles de la civilisation viennent aboutir, l'égoutier qui balaye la boue et le chiffonnier qui ramasse les guenilles. La «principale locataire» du temps de Jean Valjean était morte et avait été remplacée par une toute pareille. Je ne sais quel philosophe a dit: On ne manque jamais de vieilles femmes. Cette nouvelle vieille s'appelait madame Burgon, et n'avait rien de remarquable dans sa vie qu'une dynastie de trois perroquets, lesquels avaient successivement régné sur son âme. Les plus misérables entre ceux qui habitaient la masure étaient une famille de quatre personnes, le père, la mère et deux filles déjà assez grandes, tous les quatre logés dans le même galetas, une de ces cellules dont nous avons déjà parlé. Cette famille n'offrait au premier abord rien de très particulier que son extrême dénûment; le père en louant la chambre avait dit s'appeler Jondrette. Quelque temps après son emménagement qui avait singulièrement ressemblé, pour emprunter l'expression mémorable de la principale locataire, à l'entrée de rien du tout, ce Jondrette avait dit à cette femme qui, comme sa devancière, était en même temps portière et balayait l'escalier: – Mère une telle, si quelqu'un venait par hasard demander un Polonais ou un Italien, ou peut-être un Espagnol, ce serait moi. Cette famille était la famille du joyeux petit va-nu-pieds. Il y arrivait et il trouvait la pauvreté, la détresse, et, ce qui est plus triste, aucun sourire; le froid dans l'âtre et le froid dans les coeurs. Quand il entrait, on lui demandait: – D'où viens-tu? Il répondait: – De la rue. Quand il s'en allait, on lui demandait: – Où vas-tu? Il répondait: – Dans la rue. Sa mère lui disait: Qu'est-ce que tu viens faire ici? Cet enfant vivait dans cette absence d'affection comme ces herbes pâles qui viennent dans les caves. Il ne souffrait pas d'être ainsi et n'en voulait à personne. Il ne savait pas au juste comment devaient être un père et une mère. Du reste sa mère aimait ses soeurs. Nous avons oublié de dire que sur le boulevard du Temple on nommait cet enfant le petit Gavroche. Pourquoi s'appelait-il Gavroche? Probablement parce que son père s'appelait Jondrette. |
Où Gavroche s'indigne Un soir que ces bises soufflaient rudement, au point que janvier semblait revenu et que les bourgeois avaient repris les manteaux, le petit Gavroche, toujours grelottant gaîment sous ses loques, se tenait debout et comme en extase devant la boutique d'un perruquier des environs de l'Orme-Saint-Gervais. Il était orné d'un châle de femme en laine, cueilli on ne sait où, dont il s'était fait un cache-nez. Le petit Gavroche avait l'air d'admirer profondément une mariée en cire, décolletée et coiffée de fleurs d'oranger, qui tournait derrière la vitre, montrant, entre deux quinquets, son sourire aux passants; mais en réalité il observait la boutique afin de voir s'il ne pourrait pas «chiper» dans la devanture un pain de savon, qu'il irait ensuite revendre un sou à un «coiffeur» de la banlieue. Il lui arrivait souvent de déjeuner d'un de ces pains-là. Il appelait ce genre de travail, pour lequel il avait du talent, «faire la barbe aux barbiers». Tout en contemplant la mariée et tout en lorgnant le pain de savon, il grommelait entre ces dents ceci: Mardi. – Ce n'est pas mardi. – Est-ce mardi? – C'est peut-être mardi. – Oui, c'est mardi. On n'a jamais su à quoi avait trait ce monologue. Si, par hasard, ce monologue se rapportait à la dernière fois où il avait dîné, il y avait trois jours, car on était au vendredi. Le barbier, dans sa boutique chauffée d'un bon poêle, rasait une pratique et jetait de temps en temps un regard de côté à cet ennemi à ce gamin gelé et effronté qui avait les deux mains dans ses poches, mais l'esprit évidemment hors du fourreau. Pendant que Gavroche examinait la mariée, le vitrage et les Windsor-soaps, deux enfants de taille inégale, assez proprement vêtus, et encore plus petits que lui, paraissant l'un sept ans, l'autre cinq, tournèrent timidement le bec-de-cane et entrèrent dans la boutique en demandant on ne sait quoi, la charité peut-être, dans un murmure plaintif et qui ressemblait plutôt à un gémissement qu'à une prière. Ils parlaient tous deux à la fois, et leurs paroles étaient inintelligibles parce que les sanglots coupaient la voix du plus jeune et que le froid faisait claquer les dents de l'aîné. Le barbier se tourna avec un visage furieux, et sans quitter son rasoir, refoulant l'aîné de la main gauche et le petit du genou, les poussa tous deux dans la rue, et referma sa porte en disant : – Venir refroidir le monde pour rien! Les deux enfants se remirent en marche en pleurant. Cependant une nuée était venue; il commençait à pleuvoir. Le petit Gavroche courut après eux et les aborda: – Qu'est-ce que vous avez donc, moutards? – Nous ne savons pas où coucher, répondit l'aîné. – C'est ça? dit Gavroche. Voilà grand'chose. Est-ce qu'on pleure pour ça? Sont-ils serins donc! Et prenant, à travers sa supériorité un peu goguenarde, un accent d'autorité attendrie et de protection douce: – Momacques, venez avec moi. – Oui, monsieur, fit l'aîné. Et les deux enfants le suivirent comme ils auraient suivi un archevêque. Ils avaient cessé de pleurer. Gavroche leur fit monter la rue Saint-Antoine dans la direction de la Bastille. Gavroche, tout en cheminant, jeta un coup d'oeil indigné et rétrospectif à la boutique du barbier. – Ça n'a pas de coeur, ce merlan-là, grommela-t-il. C'est un angliche. Une fille, les voyant marcher à la file tous les trois, Gavroche en tête, partit d'un rire bruyant. Ce rire manquait de respect au groupe. – Bonjour, mamselle Omnibus, lui dit Gavroche. Un instant après, le perruquier lui revenant, il ajouta: – Je me trompe de bête; ce n'est pas un merlan, c'est un serpent. Perruquier, j'irai chercher un serrurier, et je te ferai mettre une sonnette à la queue. Ce perruquier l'avait rendu agressif. Il apostropha, en enjambant un ruisseau, une portière barbue et digne de rencontrer Faust sur le Brocken, laquelle avait son balai à la main. – Madame, lui dit-il, vous sortez donc avec votre cheval? Et sur ce, il éclaboussa les bottes vernies d'un passant. – Drôle! cria le passant furieux. Gavroche leva le nez par-dessus son châle. – Monsieur se plaint? – De toi! fit le passant. – Le bureau est fermé, dit Gavroche, je ne reçois plus de plaintes. |
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