L'ironie du sort a voulu que l'auteur du plus célébre roman du 18 éme siécle ait été en son temps l'un des plus féroces détracteurs du genre romanesque : Rousseau voyait en effet dans le roman un divertissement pernicieux,pour des âmes corrompues.
Aussi,en écrivant LaNouvelle Héloïse ,voulut-il réconcilier roman et vertu .
Son heroïne ,Julie d'Etanges ,fille d'un aristocrate suisse ,a pour précepteur un jeune roturier du nom de Saint Preux .Le maître et son éléve tombe amoureux l'un de l'autre
,pareils à Héloïse et Abélard ,qui ,dans des circonstances semblables ,vécurent au 12 éme siécle une passion tumultueuse avant d'entrer en religion et d'échanger une correspondance restée célébre .Par le titre même qu'il a choisi de donner à son oeuvre ,Rousseau laisse présager
le renoncement final de ses personnages ,qui préféreront le calme bonheur de la vertu aux affres d'un amour interdit .
Saint-Preux a avoué son amour à Julie .Croyant n'obtenir que froideur et mépris en réponse ,il lui annonce son intention d'en venir aux derniéres extrémités .Pour l'empêcher de commettre ce geste fatal ,Julie ne voit plus d'autre issue que d'avouer à son tour.
Il faut donc l'avouer enfin, ce fatal secret trop mal déguisé! Combien de fois j'ai juré qu'il ne sortirait de mon coeur qu'avec la vie! La tienne en danger me l'arrache; il m'échappe, et l'honneur est perdu. Hélas! j'ai trop tenu parole; est-il une mort plus cruelle que de survivre à l'honneur?
Que dire? comment rompre un si pénible silence? ou plutôt n'ai-je pas déjà tout dit, et ne m'as-tu pas trop entendue? Ah! tu en as trop vu pour ne pas deviner le reste! Entraînée par degrés dans les pièges d'un vil séducteur, je vois, sans pouvoir m'arrêter, l'horrible précipice où je cours.
Homme artificieux! c'est bien plus mon amour que le tien qui fait ton audace. Tu vois l'égarement de mon coeur, tu t'en prévaux pour me perdre; et quand tu me rends méprisable, le pire de mes maux est d'être forcée à te mépriser. Ah! malheureux, je t'estimais, et tu me déshonores! crois-moi,
si ton coeur était fait pour jouir en paix de ce triomphe, il ne l'eût jamais obtenu.
Tu le sais, tes remords en augmenteront; je n'avais point dans l'âme des inclinations vicieuses. La modestie et l'honnêteté m'étaient chères; j'aimais à les nourrir dans une vie simple et laborieuse. Que m'ont servi des soins que le ciel a rejetés! Dès le premier jour que j'eus le malheur de
te voir, je sentis le poison qui corrompt mes sens et ma raison; je le sentis du premier instant, et tes yeux, tes sentiments, tes discours, ta plume criminelle, le rendent chaque jour plus mortel.
Je n'ai rien négligé pour arrêter le progrès de cette passion funeste. Dans l'impuissance de résister, j'ai voulu me garantir d'être attaquée; tes poursuites ont trompé ma vaine prudence.
Cent fois j'ai voulu me jeter aux pieds des auteurs de mes jours, cent fois j'ai voulu leur ouvrir mon coeur coupable; ils ne peuvent connaître ce qui s'y passe; ils voudront appliquer des remèdes ordinaires à un mal désespéré: ma mère est faible et sans autorité; je connais l'inflexible
sévérité de mon père, et je ne ferai que perdre et déshonorer moi, ma famille, et toi-même. Mon amie est absente, mon frère n'est plus; je ne trouve aucun protecteur au monde contre l'ennemi qui me poursuit; j'implore en vain le ciel, le ciel est sourd aux prières des faibles. Tout fomente
l'ardeur qui me dévore; tout m'abandonne à moi-même, ou plutôt tout me livre à toi; la nature entière semble être ta complice; tous mes efforts sont vains, je t'adore en dépit de moi-même. Comment mon coeur, qui n'a pu résister dans toute sa force, céderait-il maintenant à demi? comment ce coeur
, qui ne sait rien dissimuler, te cacherait-il le reste de sa faiblesse? Ah! le premier pas, qui coûte le plus; était celui qu'il ne fallait pas faire; comment m'arrêterais-je aux autres? Non; de ce premier pas je me sens entraîner dans l'abîme, et tu peux me rendre aussi malheureuse qu'il te plaira.
Questions
En quoi Jacques se révele-t-il fataliste ? Comment le théme du hasard est-il lié à l'invention romanesque .Repére le passage où est défini le rôle d'un auteur par rapport à sa création.
A quoi comprenons-nous que Diderot se refuse à jouer ce rôle ? Comment casse-til l'illusion de réalité ?